Wyoming
L'arrivé dans les Rocheuses sonne l'heure du renouveau, l'imensité majestueuse ramène joie et excitation. Je me sentais un peu à l'étroit, engoncé dans ces forêts, sous cette fumée permanente... Ici les yeux s'étonnent à nouveau de voir aussi loin. Le retour du soleil, et le ciel, enfin bleu redonnent aux paysages de l'ampleur, et aux photos des couleurs... Ici on est à sur un haut plateau à 2000m et on ne redescendra plus en dessous avant longtemps.
Je me sens vibrer à nouveau, voici enfin l'amérique qui sommeillait en moi... Je file cheveux au vent vers le parc national des Grands Tetons, autrefois nommés les "Wise Fathers" par les indiens. J'en profite pour un plouf magique et salvateur à la rivière au pied de ces pics massifs. Dans la plaine, un troupeau de bisons, rescapés d'un autre temps... Un peu de musique et d'imagination me catapultent à une autre époque, dans mon Amérique à moi, qui a bercé tant d'années... J'approche peu à peu le début de la piste... le début de la suite du Rêve Américain...
Vient enfin le moment de quitter le bitume. Tout change subitement. Fini les voitures, l'odeur de l'asphalte et des échappement, fini la montre, les bornes kilométriques qui rappellent toujours à l'esprit la notion de distance. Plus rien ne compte, et le monde est bien loin derrière dès le premier virage... pfuiiiiiiiit... Une autre dimension s'ouvre...Il n'y a plus que le silence, et le bruit de la terre sous les roues...Les montagnes... On ne fait plus que les contourner vaguement par la route, on coupe au travers et en en vit chaque instant... Je ressens toujours une excitation au moment de passer à une option un peu plus "engagée", ça affûte les sens et la conscience de chaque geste et décision... et quand j'ai retrouvé mes repères, eh bien j'aime à nouveau prendre une variante qui me tient un peu plus attentif à chaque instant...
Une halte à Pinedale, je retrouve quelques autres cyclos, on partage un terrain de camping et une soirée au pub autour des prévisions pour les jours à venir... L'inquiétude règne au sujet de la météo au moment d'aborder la traversée du désert, le Grand Bassin du Wyoming qui devrait prendre 4 jours de route...
Au réveil personne n'a envie... on scrute les radars météo sur le téléphone, et une énième fois la carte, comme si ca pouvait éloigner par magie la perturbation qui arrive pour 2 jours... Il va pleuvoir, peut être neiger, et les pistes vont vite être très boueuses et merdiques à rouler... Chacun annonce son plan de route et on se rejoint au bivouac, ou pas... Si certains prônent deux étapes courtes et se la jouent façon lièvre en trainant au café, moi j'ai simplement retenu que l'option "devancer la tempête" est jouable jusqu'à 13h et je décide d'être aussi loin que possible.... Je fais la tortue et pars sur le champs, sans plus m'arrêter... 13h, j'ai atteint le point de bivouac, c'est menaçant partout autour, mais je tente de doubler l'étape... Je trace tout l'aprem, bousculé par les vent violents qui me poussent aussi vite qu'ils poussent la perturbation, je vois la pluie s'abattre partout autour dans le Bassin, des éclairs çà et là... Je continue sans relâche et sans la moindre goutte de pluie... C'est Grandiose, Magique et Stimulant... J'en chie, mais j'y crois... C'est pas si dur en soi, mais rouler au dessus de son rythme, ça coupe les pattes... 135e km, je suis vanné, séché, il va faire nuit, Atlantic city, ancienne cité minière, aujourdhui hameau fantôme de 35 âmes, n'est plus qu'à 5 km quand je prends l'orage... Le mec... Il a cru qu'il allait battre les cieux... non mais... en 5minutes je suis gaugé, la piste colle et les derniers murs à 10% dans la semoule oscillent entre dernier supplice et libération si proche. A ce moment là, la simple idée de planter ma tente n'importe où et d'y passer les 36h à venir, me semblent le plus grand des conforts...
Une lumière dans la grisaille... Mais non! Y'a un café et il est ouvert ! Assis devant mon burger et mon verre, je souris et repense à ma journée... Que ressent on après ces efforts exigeants ? Peu importe la perf, qui est vraiment personnelle et relative à tant de facteurs et si peu importante je crois, seules comptent les émotions, ce qu'on a donné pour aller chercher çà, et ce qu'on en retire. Pousser la persévérance et la volonté, et aller effleurer et percer les contours obscurs et brumeux de ce qu'on croit être des limites, dégager le mental pour laisser s'exprimer une autre part de soi, pour aller chercher une sensation de centrage et de confiance...
Dale et Laurel me laissent planter la tente devant leur saloon et m'invitent à passer le lendemain au chaud dans un coin.
Le café compte plus de places assises que d'habitants, et c'est le seul point de vie du village. Des équipes de chasseurs défilent pour venir se mettre au chaud le temps d'un verre. Je passe la journée assis à la table près de la fenêtre, entre le piano et le poêle, à recoudre les accrocs de mes vêtements, en regardant la pluie tomber. D'ici on domine le village et la piste, et je guette d'autres vélos. Je file un coup de main à débarrasser les tables çà et là. J'aime ces journées hors du temps, hors de tout.
Sous ma tente, j'ai le wifi, le bonus du jour... Moi qui ai toujours pesté contre les smartphones et l'instantanéité de l'information et des réactions, j'accepte peu à peu à vivre plus en phase avec mon temps... Cette nuit là, j'apprends la naissance imminente d'un petit neveu. On est 6 frères et soeurs réunis, à distance, pour l'occasion, autour d'une conversation de groupe, ça ne vaut pas une vrai présence mais partager ça depuis le bout du monde me fait frissonner. Sous ma tente, m'en viennent les larmes. Merde, mon petit frère, mon gamin, je nous revois courir dehors quand on était mômes, et le voilà assis dans le couloir de la mat' à attendre son 2e enfant, à laisser filer ces minutes magiques et troublantes où tout un monde intérieur doit s'ébranler... Enfin, j'imagine.
Je passe les jours qui suivent à scander, à en perdre voix les plus beaux Nigguns de Nava Tehila à travers le désert, pour célébrer la Vie, Celle qui arrive, petit bonhomme, Celles qui s'éteignent, et, au milieu, les Nôtres, Celles qui passent trop vite...
Bivouac sauvage dans le Wyoming...
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La saison avancée offre des températures raisonnables, le vent violent et jamais bien comme on voudrait, vient bousculer les journées et parfois l'équilibre. C'est ainsi, au moins il me sèche la piste... A quoi bon maudire les éléments? Autant essayer de suivre la vague et leur rythme que de lutter... Ils nous rappellent qu'on ne pèse pas lourd, et quand ils parlent, tu te tais...
Je prends une variante après le Diagnus Well, et suis la trace de la course "tour divide" plutôt que l'option "touristique ACA" pour me sentir un peu plus seul encore... Les petits rituels bien ancrés rythment le temps... La trace à suivre, le point d'eau à ne pas rater, la lente évolution des détails du paysage, les antilopes à foison que je ne me lasse pas d'observer, et bientôt les serpents qui commencent à pulluler. Le soir un soin particulier à la mécanique, au serrage du porte bagage, et à l'entretien de la chaîne, un feu pour la tambouille, et au lit. La nuit, les étoiles à n'en plus pouvoir et l'appel des coyottes.
Et puis à nouveau au loin, les sommets du Colorado... Dernières collines arides battues par le vent, dans un hameau, un musée local complètement inattendu, les deux soeurs qui travaillent là m'offrent de l'eau fraîche, des crudités du jardin et du poulet pour un rapide casse croûte. Après avoir raté le musée du casse noix à Leavenworth, j'ai ici l'occasion de visiter la collection unique de salières et poivriers... mais ... il me faut filer, la tempête repointe le bout du nez...
Je quitte le Wyoming et attaque l'ascension du premier col du Colorado, je retrouve la forêt, les bouleaux. Les températures ont chuté Je roule juste sous le plafond nuageux, je sais qu'au détour d'un virage je vais pénétrer dans un autre monde... Pfuiiiiiiit je rentre dans le nuage, l'humidité, les fines gouttes de pluie, légères et soudain... Des flocons... Ce matin j'étais dans le désert, et là voilà qu'il neige...
Ca forcit, s'intensifie, bien vite, c'est la gadoue, ça pèle et j'y vois plus rien. Que faire? Planter la tente et attendre? ou bien continuer? Au détour d’un virage, une surprise inattendue vient régler le dilemne…
Nous sommes le 20 septembre. L'automne est à l'heure et ouvre une nouvelle page...
Je prends une variante après le Diagnus Well, et suis la trace de la course "tour divide" plutôt que l'option "touristique ACA" pour me sentir un peu plus seul encore... Les petits rituels bien ancrés rythment le temps... La trace à suivre, le point d'eau à ne pas rater, la lente évolution des détails du paysage, les antilopes à foison que je ne me lasse pas d'observer, et bientôt les serpents qui commencent à pulluler. Le soir un soin particulier à la mécanique, au serrage du porte bagage, et à l'entretien de la chaîne, un feu pour la tambouille, et au lit. La nuit, les étoiles à n'en plus pouvoir et l'appel des coyottes.
Et puis à nouveau au loin, les sommets du Colorado... Dernières collines arides battues par le vent, dans un hameau, un musée local complètement inattendu, les deux soeurs qui travaillent là m'offrent de l'eau fraîche, des crudités du jardin et du poulet pour un rapide casse croûte. Après avoir raté le musée du casse noix à Leavenworth, j'ai ici l'occasion de visiter la collection unique de salières et poivriers... mais ... il me faut filer, la tempête repointe le bout du nez...
Je quitte le Wyoming et attaque l'ascension du premier col du Colorado, je retrouve la forêt, les bouleaux. Les températures ont chuté Je roule juste sous le plafond nuageux, je sais qu'au détour d'un virage je vais pénétrer dans un autre monde... Pfuiiiiiiit je rentre dans le nuage, l'humidité, les fines gouttes de pluie, légères et soudain... Des flocons... Ce matin j'étais dans le désert, et là voilà qu'il neige...
Ca forcit, s'intensifie, bien vite, c'est la gadoue, ça pèle et j'y vois plus rien. Que faire? Planter la tente et attendre? ou bien continuer? Au détour d’un virage, une surprise inattendue vient régler le dilemne…
Nous sommes le 20 septembre. L'automne est à l'heure et ouvre une nouvelle page...