48heures en 3 extraits de notes
Flagstaff, "Route 66" 7h30
Je réapparais après une nuit dans les bois du parc de la ville. Je me réchauffe devant un café. Le bistrot est encore désert à cette heure matinale. J’observe le jukebox, le zinc et les banquettes en cuir et imagine l’activité trépidente de cette époque révolue, où la route 66 passait devant la porte, traversait le pays, et créait sur son passage, activité et rencontre, fascination et rêve.
Aujourdhui, une autoroute a tué la légende, rendant au désert et à l’érosion, le bitume abandonné de la route la plus connue des états unis… Quelques lieux, rescapés, font encore perdurer le mythe contre les assauts du temps.
Sedona, "Red Rocks et Vortexs" 18h
Je me glisse parmi les touristes, là haut sur le plateau, et laisse patiemment la nuit tomber et les chasser un à un... Je reste seul sur mon rocher. Je m'endors, là haut, sur le monolithe, sous les étoiles, loin du monde… Nuit sauvage... Réveil avant 6h, au son du tambour et de chants chamaniques, quelques part dans l'immensité, quelqu'un célèbre le lever du soleil...
Je pars à travers la pampa, pousse le vélo sur plusieurs kilomètres sur des chemins escarpés, parfois vertigineux. Arrivé au sommet, face à Cathedral Rock, j'ai une montée d'émotions. C'est mon dernier jour aux Etats Unis, ma dernière ascension, demain un autre pays, une autre langue, un monde nouveau, tout aura changé. Je ferme les yeux, respire, repense à tous les souvenirs du voyage. Je refais défiler les paysages et les visages. Quelles sont les dernières images que je veux emmener avec moi? Qu'ai je appris sur ces quelques mois qui m'ont semblé des années quand je vois l'évolution... Un battement d'aile bourdonnant... Un colibri se pose juste à coté, sur une branche... Oui. c'est çà... je suis le colibri...
Je descends, me faufile à travers l'ancien lit de la rivière dans un tunnel de végétation, j'ai la sensation d'entrer dans le ventre de la terre... me vient l'idée que je n'irai pas au bout du voyage, enfin, c'est comme le monde, il n'y a pas de bout. Je l'ai déjà trouvé, et je le trouve chaque jour... Tout est là... Je peux rentrer demain je serai heureux, ou continuer a pédaler et serai aussi heureux...
J'arrive à la rivière, ressens une grande douceur, et l'envie de m'y glisser. Je suis comme hypnotisé, par l'instant, par l'atmosphère. Le temps s'est arrêté, j'entends au loin des cris d'enfants qui me parviennent au ralenti... Au bord de l'eau, une petite fille me salue. Son tshirt "young wild and free" me fait sourire... Oui... c'est çà... c'est moi çà... Je suis un Clochard Céleste, et personne autour n'imagine même ce que je vis la nuit, sauvage, connecté entre Ciel et Terre... Au creux d'un arbre, une statue d'ange, je l'effleure, c'est une boite à musique, elle se met à jouer... , au feutre quelqu'un a signé "love you mom"...
Je viens de passer le vortex féminin de Cathedral rock, sans même savoir qu'il était là je le croyais plus loin derriere la colline...
Airport road, autre vortex, autre énergie, je me sens d'un coup hyper centré, invincible. L'ipod lance "1492 conquest of paradise", l'image de couverture affiche la caravelle de Christophe Colomb. Je frissone, et verse une larme sur mon vélo... Je repense au premier jour où j'ai foulé moi aussi le sol améciacin pour une autre conquête, celle de mon continent intérieur. La haut, au sommet de la colline, me vient une autre image. "prendre du recul, de la hauteur, et ne pas désirer ni regretter"...
Je me sens prêt à laisser derrière moi l’Aigle et à aller apprivoiser le Condor...
Phoenix, "Gare Routière", Minuit du soir ou du matin, je sais plus…
Entre les palissades de l’espace fumeur, plane l'ennui d'une interminable attente.
Un jeune mexicain à l’allure hip hop assis sur son inséparable baffle lance un morceau de blues.
Assise contre le mur, d’un geste lent et sûr, la jeune fille mystérieuse, jusque là silencieuse, sort sa guitare,
Le visage caché sous son chapeau de feutre, seule pointe dans la nuit la lueur rougeoyante de sa cigarette.
Elle commence à gratter, accompagne la musique, la double, et, crachant sa clope, se met à chanter.
Sa douce voix rauque envoute instantanément le quai.
Lentement, elle se fait plus puissante jusqu'à dominer le bruit de la ville.
Hypnose. Les regards convergent, les corps commencent à battre la mesure.
Ca tape du pied, claque des doigts, certains dansent, tout le monde sourit, entraînés par l’instant qui ne s’arrête plus.
Dans la gare, de l’autre côté de la vitre, combien de silhouettes,
rivées sur leur iphone ne se doutent pas même de ce qui se joue dehors?
Assis sur le vieux banc métallique, mon voisin fait le tri de sa valise et en jette la moitié. Drôle de scène.
En partageant son casse croûte, il me confie qu’il passe tout juste d'entrepreneur à clochard.
Il raconte ses petits boulots, ses déboires, la faillite
puis ses voyages à pékin, son trafic de perles,
les techniques pour confondre et démasquer ceux qui le suivent dans la rue
et termine par sa touche de sagesse qui le fait rire :
« La vie, c’est comme une boite de chocolats, mais ici en Arizona, ça fond.
Parfois tu voudrais en prendre un, et ça ressemble à de la merde.
Mais n’oublie jamais, même quand on dirait de la merde, la vie çà reste du chocolat, et ça sera toujours bon ! »
Le Greyhound, carrefour éphémère d’influences et de rencontres, vient encore de livrer un de ces instants dont il a le secret avant d’emporter tout le monde dans la nuit, chacun dans sa direction...
Je saute du bus à El Cajon au petit matin et pédale les derniers kilomètres vers Tecate.
Mince… La frontière mexicaine ... et moi qui ne parle toujours pas UN mot d’espagnol…
USA, Quelques repères pour avoir un ordre d'idée :
3700 km de vélo en montagne, la moitié par la piste
30 cols
45 jours à pédaler (82km par jour en moyenne, tranquillement)
40 jours de repos invité chez des gens
Des bivouacs sauvage à la pelle
Encore plus d'invitations !
35$ total dépensé en logement sur les 3 mois, pour financer 5 nuits partagées avec d'autres cyclos
20$ par jour pour le reste,
Un immense merci à tous ceux qui m'ont ouvert leur porte et leur coeur, le temps d'une fraction d'éternité
3700 km de vélo en montagne, la moitié par la piste
30 cols
45 jours à pédaler (82km par jour en moyenne, tranquillement)
40 jours de repos invité chez des gens
Des bivouacs sauvage à la pelle
Encore plus d'invitations !
35$ total dépensé en logement sur les 3 mois, pour financer 5 nuits partagées avec d'autres cyclos
20$ par jour pour le reste,
Un immense merci à tous ceux qui m'ont ouvert leur porte et leur coeur, le temps d'une fraction d'éternité